vendredi 9 mars 2012
Lettre 103
" Vous croyez, beauté inhumaine, que rien n'est si facile que d'écrire et qu'il n'y a qu'à prendre la plume en main pour que les pensées viennent. Rien n'est cependant plus difficile que de devoir dire quelque chose quand on à rien en tête.
Il le serait déjà de répéter avec un ton nouveau qu'on vous adore, mais toujours dire des folies, toujours amuser est impossible, surtout à une tête noire. Quand je vous vois, je ne pense qu'à mon amitié. Il faut que j'aille rechercher dans le fond de mon magasin des pensées vieilles ou nouvelles, qu'il faut encore habiller drôlement. Quelque diable que je sois, je n'ai pas ce talent et vous voulez pourtant qu'on vous obéisse sans réfléchir, sans prendre haleine. Allons, je vais tâcher de débrouiller toute ma bibliothèque; elle est sans dessus dessous et si vous voulez en un mot savoir ce qu'est ma tête, je puis la définir un galimatias de folies et de noir, de méchanceté et de raison. Connaissez-vous la confusion qui règne dans un certain tiroir qui habite chez moi où l'on trouve ensemble et sans aucune rime ni raison un écrit politique, un tas de lettres, un opéra comique, un vaudeville, un traité d'éducation, une partie de clavecin, des réflexions morales, un sermon joint au traité de toutes les déraisons, des prières mêlées dans du papier consacré à vous déclarer mon amour, des billets de l'Impératrice confondus entre les lettres de cent personnes qui me sont indifférentes, ces billets qui me sont si chers et font la douceur de ma vie. Voilà le tableau que vous offre ma tête: de la philosophie, de la morale, des contes, des méditations, des chansons, de l'histoire, de la physique, de la logique, de la métaphysique, des transports pour vous, enfin on la peut nommer le magasin le plus complet du désordre et de la raison, magasin que vous prétendez que je débrouille en un instant ce que j'ai amassé pendant vingt ans, et que malgré mes soins je n'ai pu mettre en ordre. Adieu, voilà ma tâche remplie et le diable n'est pas assez diable pour grandir le papier et pour venir à bout de ce que vous désiriez. Je vous embrasse pour la conclusion de toutes mes forces."
Isabelle de Bourbon-Parme à l'Archiduchesse Marie-Christine, automne 1762.
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